Présentation "D'un continent à l'autre - 100 tanka", recueil collectif

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Mise à jour : 17 mars 2016

D’une époque à l’autre

Préface

 
S’il n’est pas nécessaire d’être poète pour apprécier la poésie, il peut être utile d’en connaître certains rouages pour en mesurer toute la finesse. Aussi n’est-il pas vain d’expliquer au néophyte les bases du tanka[1].

D’origine japonaise, le tanka est composé de 31 syllabes réparties sur cinq lignes (5/7/5/7/7). Rythme impair spécifiquement nippon qu’il n’est pas impossible d’adapter en français comme le démontre l’habileté des poètes réunis ici. Cette fixité quasi rituelle, base d’une certaine musicalité, se double fréquemment d’une structure bipartite, parfois matérialisée par une césure ou coupée en deux segments de 5/7/5 puis 7/7.

Promenade au champ
il s’éloigne à chaque pas
le cri des criquets
plus j’avance sur mon chemin
plus ma fin approche

André Vézina

 

À la lecture de ce livre collectif, le lecteur comprendra vite l’utilité

de cette composition si particulière. D’abord un premier temps d’observation, une impression saisie dans la fulgurance, une image objective d’un événement ordinaire. Puis, l’auteur s’appuie sur l’observation de ce phénomène pour révéler ses propres émotions. La perception sensorielle, impressionniste, s’efface pour laisser place à l’expression émotionnelle, et l’intensité des sentiments explose comme un feu d’artifice dans la nuit.
 

Les tankas rassemblés ici l‘illustrent à merveille. C’est dans ces justes équilibres entre manière et matière, entre objectivité et subjectivité, entre impressionnisme et expressionisme, que le kajïn, l’auteur de tanka, prouve son doigté, rejetant la lourdeur de la technique au profit d‘une expression claire, à la fois si fragile et si forte, des émotions.
 

Des blocs de glace
éparpillés sur la rive
géants solitaires
échoués à l’hôpital
tous ces vieux abandonnés

 Micheline Aubé

 
Au Japon, durant la période de Heian (794-1185) la préférence était aux tankas exprimant des sentiments amoureux, et dans les 21 anthologies de tanka, compilées du 10e au 15e siècle sur ordre des familles impériales, les tankas d’amour tiennent la seconde place entre les tankas de saison et ceux de la vie quotidienne. Nos poètes contemporains, s’ils sont toujours largement inspirés par les thèmes saisonniers, n’en sont pas moins sensibles aux problèmes actuels de notre société et ont su adapter le tanka pour exprimer leur colère face à l’indifférence, la misère ou les inégalités. Les tankas d’amour se retrouvent alors en dernière position (10% du recueil contre un quart dans les anthologies impériales), bien que, les frontières du classement étant bien fragiles, les phénomènes saisonniers soient parfois prétextes à exprimer de forts sentiments
 

Une fois par an
reculer montres et horloges
pour gagner une heure
que j’aimerais bien aussi
vivre cette heure avec toi

 Patrick Simon

 
Qu’importe cette classification poreuse ! L’essentiel est de sentir vibrer, sous la plume des poètes, leur cœur sensible au moindre soubresaut de la vie qu’ils relatent dans un arrangement dynamique, respectant ainsi l’esthétique de la poésie japonaise, définie pour la première fois en 905 par le poète Ki no Tsurayuki. Dans sa célèbre préface au Kokinshū, la première anthologie impériale, il inventorie les principes de base du tanka : les poèmes ne doivent pas être parés de trop beaux atours (style ou effet) pour dissimuler la faiblesse du coeur ou de l’esprit ; inversement, l’intensité des sentiments, même les plus sincères, ne doit pas être voilée par un langage trop pauvre. Règles universelles de poésie. Chacun de ces tankas le démontre.


Roulade des chats
au premier soleil de mai
leur poil tout poudré
sur les fesses du poupon
une main douce et talquée

Martine Gonfalone-Modigliani

D‘une simplicité apparente, ceux-ci sont façonnés de mots ordinaires minutieusement choisis et ordonnés pour leur sens et leur résonance. De sorte que la part d‘intime, discrètement saisie, emporte le lecteur sur la vague des sensations au plus profond de son cœur.

Telle est la force du tanka. Telle est la force de ce livre.

En véritables orfèvres, ces huit auteurs contemporains prouvent que le tanka francophone, après des débuts difficiles dès la fin du 19e siècle, s’est bien acclimaté à notre culture et n’a plus à rougir de son grand frère japonais, vieux d’un millénaire.

 

Dominique Chipot[2]



[1] 1 Pour approfondir le sujet, le lecteur pourra consulter : Garcia Alhama, Simon Patrick, Tanka, introduction à la poésie brève, Paris, éditions Pippa, 2015.

[2] www.dominiquechipot.fr






D'un continent à l'autre - 100 tanka

"D'un continent à l'autre - cent tanka"

Collectif :

Micheline Aubé, Janick Belleau, Claire Bergeron, Danièle Duteil, Alhama Garcia, Martine Gonfalone-Modigliani, Patrick Simon, André Vézina

ISBN 978-2-923829-22-7
Sortie Juin 2016
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