Sommaire du numéro 3 de Mars 2008
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Présentation
Histoire et évolution du tanka
Tanka des poètes contemporains : choix de notre comité de lecture
Renga
Présentation de poètes ou de livres sur le tanka
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Extrait :
Le miroir et l’ikebana : le parallélisme métaphorique - Par Maxianne Berger
Commençons au Japon du XIXième siècle, quand Teishin avait rencontré Ryokan en 1826, environs cinq ans avant la mort de ce dernier. Ces deux passionnés de la poésie ont mené un dialogue poétique que Teishin avait publié après la mort de Ryokan (1). Teishin présente dans son recueil le contexte pour chaque poème de Ryokan. Ainsi, elle nous dit que Ryokan dessina un crane pour accompagner ces vers :
Teishin répondit :
Nous reconnaissons ici un des poèmes de notre aventure en tan-renga (2). Teishin, en proposant ses vagues, enchaîne aux idées de Ryokan avec un parallélisme métaphorique tellement à propos que Ryokan ajouta immédiatement :
Teishin avait terminé sa compilation des poèmes de La Rosée d’un lotus en 1835, soit quatre ans après la mort de Ryokan. Avant sa propre mort, quarante-et-un ans plus tard, elle laissa son poème d’adieu :
" Ainsi " elle présente aussi dans son dernier poème un enchaînement par parallélisme métaphorique – c’est une figure en poésie qui permet aux lectrices et lecteurs de comprendre sans qu’on leur précise une interprétation ou une conclusion. De nos jours, c’est une stratégie de composition qui continue à satisfaire. Prenons comme exemple ce tanka d’André Duhaime (3) :
Le bonheur de jeunes mariés est rappelé dans " soleil " et " roses ", mais la bouteille (vidée de son vin ?) sert maintenant de vase, les roses sont très fanées, ... Duhaime nous propose de façon imagée l’état d’un couple qui ne connait plus le bonheur. Jeanne Emrich utilise aussi une fleur pour élaborer son sentiment (4) :
Les parallèles sont moins évidentes, mais on peut attribuer douceur et splendide beauté de pivoine à " ton visage ", et supposer que la personne adressée dans ce poème se réveille. Les sentiments du " je " envers le " tu " tendent vers l’amour. Imaginons l’énorme différence dans les sentiments si on greffait aux deux premiers vers de Emrich les trois derniers de Duhaime ! Mais considérons aussi ce qui disparaîtrait de ce poème si on remplaçait les vers métaphoriques de Emrich par des vers simplement descriptifs (mes excuses au poète) :
J’ai choisi comme " tu " un enfant, comme " je " sa mère. Le poème d’origine ne spécifie pas d’identités, et permet ainsi aux lectrices et lecteurs de compléter eux-mêmes ce détail – à leur gré. La spécificité peut-être une clôture qui exclue. De plus, même si je vous assurerais que les sentiments exprimés par les deux versions étaient les mêmes, celle que j’ai inventée ne réussit qu’à les banaliser. Il n’y a pas que les fleurs qui peuvent servir de parallèles, mais depuis des siècles elles sont privilégiées en poésie. Voici un autre exemple de parallélisme métaphorique, tiré de l’anthologie classique japonaise Les cent poèmes par cent poètes.(5) Ici, le poème 35, de Ki no Tsurayuki (868 ?-945). (6)
Et un millénaire après, Yosano Akiko (1878-1942) s’empare aussi de fleurs (7) :
On voit bien que la " mignonne " de Ronsard se retrouve sur une liste belle et longue ! Quant à la poétique, pourrais-je dire, la construction d’un tanka, Duhaime (8) parle de la deuxième partie d’un tanka " comme réponse, ou relance à la première ". Emrich nous invite à une " réflexion " sur nos sentiments ou nos pensées au moment même d’une observation, ou bien plus tard quand nous avons le temps d’y songer. (9) Ces poètes du tanka comprennent bien l’aspect presque diptyque de la forme : le moment observé dans la vie, et la réponse réfléchie du miroir sentimental. Remarquons que l’élément gauche ou droite du diptyque (premier ou deuxième strophe) sera choisi pour le meilleur effet, et non selon l’ordre chronologique de la sortie des vers de la plume du poète. La poésie, même le tanka, consiste en mots placés comme il faut – l’effet ne sera pas le même selon que les fleurs soient dans un jardin ou dans un pré, épinglées en boutonnière ou tressées en guirlande autour de la tète d’une fillette, disposées en grand bouquet dans un vase ou bien soigneusement harmonisées en ikebana. Ryokan et Teishin aussi ont dialogué " en fleur ". Lors d’une visite estivale, Teishin se trouva accueillie par un simple lotus, Ryokan étant absent. Elle lui laissa ces vers :
Ryokan répondit :
Ces poèmes expriment bien la " réponse " de Duhaime et la " réflexion " de Emrich. Mais sans jargonner en poétique, ce sont les poèmes eux-mêmes qui restent nos meilleurs enseignants de la poésie. Reste à nous de disposer nos mots, nos vers, simplement, soigneusement, à l’ikebana.
© Maxianne Berger, 2008 _______________________________________________________ 1. Teishin a dévoué sa vie à faire connaitre l’œuvre de Ryokan. Une version française de leur dialogue en poèmes traduit par Alain-Louis Colas paru récemment : La Rosée d’un lotus, Connaissance de l'Orient, Gallimard, Paris, 2002. Cependant, les traductions dans cet article sont les miennes car malheureusement je n’ai pas accès au livre de Colas. 2. Revue du tanka francophone, volume 2, décembre 2007. 3. De son recueil Traces d’hier, Éditions du Noroît, Montréal, 1990. 4. La version originale de ce poème par Jeanne Emrich fut un des gagnants en 2000 des Tanka Splendor Awards (ahapoetry.com/ts2000.HTM). La traduction est la mienne. 5. Le Ogura Hyakunin Isshu avec poèmes choisis par Fujiwara no Sadaie (1162-1241). On peut lire Les Cent poèmes au site web de la RTF revue-tanka-francophone.com dans la section " Poètes et tanka ". 6. J’ai ici étalé sur cinq vers la traduction en deux vers de Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. 7. Ma version en français se base sur la traduction anglaise de Dennis Maloney et Hide Oshiro dans Tangled Hair: Love Poems of Yosano Akiko (Fredonia, NY: White Pine Press, 1987). Une autre traduction de ces mêmes poèmes par Sanford Goldstein et Seishi Shinoda fut l’objet d’une recension par Micheline Beaudry dans le dernier numéro de la RTF. 8. Au site clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/poesie/duhaime.html, Duhaime parle du tanka en un très bref paragraphe de son article (datant de 1996), " Haïku et co : quelques expériences poétiques ". 9. Au site tankaonline.com/Quick%20Start%20Guide.htm, dans son article "A Quick Start Guide to Writing Tanka," Emrich décrit la composition d’un de ses tanka. En deuxième lieu elle précise, "[r]eflect on how you felt or what you were thinking when you experienced this moment or perhaps later when you had time to think about it" (réfléchissez sur ce que vous ressentiez ou pensiez au moment même de l’expérience ou peut-être plus tard quand vous auriez eu le temps d’y penser).
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